Julien Tremblay à la pêche
Tempo - Édition du 2 juin 2025
Photoreportage

Histoire de pêche

Peu de temps après mon entrée en poste au Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ), on m’a demandé de rédiger la position de l’organisation sur l’accès aux lacs. Je m’y connaissais peu, mais j’ai eu la chance de participer à plusieurs rencontres avec des experts qui m’ont permis d’en saisir les principaux enjeux. Récemment, Le Devoir publiait les résultats d’une étude qui rapporte que 98% des rivages des lacs et des rivières du Québec sont actuellement inaccessibles, en raison notamment de la privatisation des rives1. Ces informations confirment ce que la position du ROBVQ soulignait déjà : l’accès aux plans d’eau du Québec passe aujourd’hui par l’accès à la propriété. 

La publication de cet article du Devoir tombe à point. Les lacs et les rivières du Québec seront bientôt pris d’assaut par des plaisanciers qui y pratiqueront des activités de navigation, de baignade, de bronzage et, dans mon cas, de pêche !  

J’habite à Québec, dans la zone 27. Ici, c’est à compter du 25 avril que la pêche à l’omble de fontaine commence. Je pratique la pêche à la mouche en rivière. J’utilise des hameçons sans ardillon, j’évite les remises à l’eau et je n’atteins pas mon quota de possession. Je pratique une pêche que je juge responsable, une pêche respectueuse de la ressource. 

Je ne possède pas de propriété riveraine, je ne fréquente pas les pourvoiries et, à vrai dire, je n’aime pas tellement payer pour pouvoir mettre ma ligne à l’eau. Pour moi, aller pêcher c’est partir à l’aventure. Une aventure rendue plus compliquée par l’inaccessibilité grandissante des cours d’eau de ma région, mais ça ne m’a jamais arrêté. 

Pour trou­ver des accès, je cherche sur les blogues de pêche ou les groupes Face­book et sur les images satel­li­taires. Je cherche des ponts et des parcs publics près desquels je peux station­ner mon véhi­cule et me frayer un chemin jusqu’au rivage, à partir duquel je suis ensuite en mesure de progres­ser le long du cours d’eau. 

Mais le défi de la pêche en rivière ne s’ar­rête pas là, bien au contraire. Le vrai défi, c’est de captu­rer une proie sur un cours d’eau que l’on connait peu. Je ne m’en cache pas, si j’ar­rive presque toujours à mettre ma ligne à l’eau lorsque je pars pêcher, il m’ar­rive très souvent de reve­nir à la maison les mains vides, et c’est très bien comme ça. À mon avis, ne pas savoir d’avance si la pêche sera un succès fait partie du plai­sir de pêcher. 

Pour réus­sir une capture en rivière, plusieurs para­mètres sont à consi­dé­rer : le moment de l’an­née, la lumi­no­sité, la tempé­ra­ture, la profon­deur de l’eau, la vitesse du courant, le type de substrat, la présence de branches et de roches, etc. Ces condi­tions, ainsi que l’éco­lo­gie de l’es­pèce ciblée, influencent la stra­té­gie de pêche : le choix du type de mouche, la loca­li­sa­tion du lancer et la trajec­toire que le leurre doit suivre dans le courant. À cela s’ajoutent les contraintes propres à la pêche à gué qui, contrai­re­ment à la pêche en embar­ca­tion, ne permet pas toujours d’at­teindre les sections les plus promet­teuses du cours d’eau! 

Julien exécutant un noeud de pêche

Julien exécutant un noeud de pêche

Je vous préviens tout de suite, ceci n’est pas une chro­nique de chasse et pêche. Je ne suis pas du tout quali­fié pour vous offrir des conseils, mes succès de pêche plus que modestes en témoignent. Pour moi, la pêche est un loisir. Un loisir qui dépend autant de notre capa­cité à accé­der à l’im­mense terrain de jeu que sont les cours d’eau du Québec que de la santé des popu­la­tions de l’omble de fontaine, une espèce emblé­ma­tique et très prisée par les pêcheurs récréa­tifs. 

L’omble de fontaine est menacé, notam­ment, par la surex­ploi­ta­tion, l’in­tro­duc­tion d’es­pèces compé­ti­trices et la dégra­da­tion de son habi­tat. On en retrouve de moins en moins dans les basses terres du Saint-Laurent, à un point tel que dans la région de la Capi­tale-Natio­nale, le succès de pêche a dimi­nué de moitié en 30 ans2.  En 2020, les inven­taires du gouver­ne­ment du Québec indiquaient que 50% des popu­la­tions en lac étaient dans un état de surex­ploi­ta­tion3.  

Dans les dernières années, les seuils d’ex­ploi­ta­tion ont été revus à la baisse pour plusieurs zones de pêche. Paral­lè­le­ment, le gouver­ne­ment du Québec a déployé un effort de sensi­bi­li­sa­tion, recom­man­dant notam­ment l’uti­li­sa­tion de leurres arti­fi­ciels et l’adop­tion de saines pratiques de remises à l’eau, mais il n’a toute­fois pas osé régle­men­ter ces pratiques. 

Je vous rassure, je n’ai pas la préten­tion de savoir quelles mesures devraient être mises en place pour réta­blir les popu­la­tions d’omble de fontaine. Faudrait-il inter­dire la remise à l’eau, renfor­cer la présence des agents de la faune ou travailler davan­tage à réta­blir l’ha­bi­tat de l’es­pèce? Toutes ces réponses sont sans doute perti­nentes, mais je n’ai ni l’ex­per­tise ni les connais­sances pour en juger. 

Julien pêchant dans la rivière Montmorency

Julien pêchant dans la rivière Montmorency

Dans sa position, le ROBVQ considère l’accès aux plans d’eau comme étant le fait de permettre aux citoyens d’accéder physiquement à ceux-ci pour différents usages. Dans bien des cas, comme celui de la pêche en rivière, la problématique est d’autant plus complexe puisque les usages ne dépendent pas uniquement de l’accès physique aux cours d’eau, mais également de l’intégrité écologique de ces derniers.  

D’abord limité par l’accès et, ensuite, par l’état des populations de poissons, il semble que pêcher l’omble de fontaine gratuitement sur les cours d’eau du Québec devient de plus en plus difficile. Cette situation, qui me touche personnellement, illustre la nécessité d’améliorer l’accès public aux cours d’eau tout en tenant compte de la capacité de support du milieu.  

Tous les pêcheurs ne pourront s’acheter une propriété riveraine pour accéder à leur territoire de pêche, il leur faut des accès publics sécuritaires et structurants. Toutefois, ces derniers ont un rôle important à jouer pour garantir la pérennité des ressources et, par le fait même, de leurs usages.