Édition du 6 octobre 2025
Les forêts publiques au cœur des enjeux hydriques: Entretien avec Antoine Plourde-Rouleau
Le 25 septembre dernier, François Legault a annoncé, dans le cadre du congrès de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qu’il jetait aux oubliettes le projet loi 97 qui visait principalement à moderniser le régime forestier et qui aura coûté à Maïté Blanchette Vézina son poste de ministre. Jean-François Simard, le nouveau ministre des Ressources naturelles et des Forêts, a reçu du premier ministre le mandat de repartir à zéro. En attendant de voir la suite des travaux, nous avons décidé d’approfondir notre compréhension du rôle hydrologique des forêts et de l’impact des activités forestières sur nos ressources collectives en eau en rencontrant Antoine Plourde-Rouleau, directeur de l’Organisme de bassins versants Kamouraska, L’Islet, Rivière-du-Loup (OBAKIR).
Quelles sont vos expériences professionnelles en lien avec la forêt?
A.P.R. : « En tant que directeur général d’OBAKIR, j’ai notamment participé au rapport sur l’état de la voirie forestière sur le territoire public de notre zone de gestion intégrée de l’eau (ZGIE). J’ai également été le représentant de l’organisme sur la table locale de gestion intégrée des ressources et du territoire du Bas-Saint-Laurent (TLGIRT BSL) pendant quatre ans. Sur le plan personnel, je suis producteur forestier en Estrie depuis 2021. Plus précisément, mon entreprise y détient un lot à bois sous aménagement où nous avons réalisé plusieurs travaux. Le tout, sous la supervision de mes associés qui sont ingénieurs et techniciens forestiers. Bref, je baigne un peu dans le milieu… »
Quels rôles jouent la forêt québécoise sur la qualité et la quantité d’eau disponible ?
A.P.R. : « J’ai envie d’aborder la question sous l’angle « des milieux associés » à la ressource eau (déformation professionnelle me direz-vous). Donc si l’on porte notre attention sur les milieux humides boisés et les autres forêts de la plaine inondable, il a été largement démontré que ceux-ci nous rendent de précieux services écologiques.
En effet, une importante revue de littérature réalisée par nos collègues, messieurs André P. Plamondon et Sylvain Jutras, en 2020, rapportait que ces milieux naturels ralentissent la vitesse d’écoulement de l’eau, réduisent les débits de pointe et favorisent la recharge de la nappe phréatique. De plus, leurs travaux précisent que, contrairement à la pensée populaire, ce serait la plaine d’inondation boisée des cours d’eau qui contribuerait à maintenir le débit de base et à retenir les sédiments, plus que tous les autres types de milieux humides. Ils seraient donc spécialement importants à conserver pour la protection de la qualité et de la quantité d’eau disponible sur nos territoires. »
De quelle manière les activités forestières affectent-elles nos ressources collectives en eau?
A.P.R. : « La réduction du couvert forestier dans un bassin versant peut entrainer plusieurs conséquences. Selon l’ampleur du parterre de coupe par rapport à la superficie du bassin versant, les travaux de récolte peuvent entraîner une augmentation des débits de pointe des cours d’eau, changer leur morphologie et amplifier les processus d’érosion. Tous ces changements peuvent diminuer considérablement la qualité de l’habitat aquatique.
Aussi, les perturbations répétées de la forêt favoriseraient le transport de sédiments vers les cours d’eau dans une même zone de drainage. Cela étant dit, des travaux d’acquisition de connaissances seraient nécessaires afin de déterminer l’indice de connectivité (IC) des bassins versants des zones de gestion. Ces nouvelles données permettraient d’identifier les secteurs ayant une plus grande sensibilité aux opérations de récolte. Ce faisant, les gestionnaires de ces territoires pourraient y prévoir des modalités d’aménagement particulières pour atténuer les risques de perturbations des habitats aquatiques en milieu forestier.
Or, ce qui nous préoccupe davantage à l’OBAKIR (et j’aurai envie de dire que c’est partagé par l’ensemble du réseau des organismes de bassins versants), c’est l’impact des chemins forestiers. »
Pourquoi les chemins forestiers sont-ils particulièrement préoccupants?
A.P.R. : « La création de chemins forestiers multiusages et de sentiers augmente les surfaces de sol compactées. Ces perturbations plus ou moins permanentes du sol réduisent bien évidemment sa capacité d’infiltration et contribuent à l’augmentation de l’écoulement. Il est également légitime de supposer que ces interventions humaines peuvent réduire la recharge de nos aquifères souterrains. L’impact sur la disponibilité des eaux souterraines pourrait d’ailleurs être particulièrement significatif dans les zones de recharges préférentielles identifiées grâce aux travaux PACES réalisés à la grandeur de la province. Par ailleurs, avec les changements climatiques, ces zones de recharge prennent une importance accrue pour l’approvisionnement en eau potable de nos communautés.
En outre, l’absence de gestion intégrée de la voirie forestière entraine une densification questionnable du réseau de chemins forestiers multiusages, dont une grande partie est ensuite laissée à l’abandon, occasionnant les conséquences mentionnées précédemment. En effet, on ne peut que douter de l’efficacité de la gestion des traverses de cours d’eau sur la base du principe de l’utilisateur payeur. À titre d’exemple, l’inspection de 206 traverses de cours d’eau (ponts et ponceaux) situées sur les chemins forestiers des terres publiques du territoire de l’OBAKIR à l’été 2021 a permis de constater que :
- 47 % des infrastructures observées présentaient des signes de dégradation ;
- 35 % de celles-ci constituent d’importantes entraves à la circulation des poissons ;
- Parmi les traverses défaillantes, 18 % étaient dans un état critique.
De plus, ces infrastructures non entretenues sont ou risquent fort de devenir d’importantes sources d’apport en sédiments aux milieux hydriques qu’elles croisent et/ou, comme mentionné, des obstacles à la libre circulation du poisson, limitant leur accès à des habitats de reproduction (frayères), d’abris et d’alimentation, notamment.
Chez OBAKIR, nous prônons donc une gestion intégrée de la voirie forestière qui tiendrait compte de l’utilisation réelle ou prévue des chemins en terre publique. Une identification précise des chemins forestiers est nécessaire et, pour ceux dont l’utilisation est fréquente, une inspection régulière des traverses doit être assurée afin de limiter l’impact sur les milieux hydriques. Dans le cas de chemins forestiers peu fréquentés ou abandonnés, la fermeture du chemin ou le démantèlement des traverses est souvent la meilleure solution pour minimiser les impacts environnementaux. »
Quelles sont les principales bonnes pratiques qui peuvent être mises en place pour atténuer les impacts des activités forestières sur l’eau?
A.P.R. : « Je crois qu’il est temps de s’assurer, au meilleur de nos capacités, que l’ensemble des normes d’intervention dans les forêts du domaine de l’État qui figure au Règlement sur l’aménagement durable des forêts du domaine de l’État (RADF) soient respectées.
Autrement, sur une note qui s’inscrit davantage dans l’actualité, je partage cet avis tiré du mémoire déposé par l’Ordre des ingénieurs forestier du Québec dans le cadre des consultations sur le projet de loi 97 et qui devrait guider le nouveau ministre des Forêts dans ses travaux de réforme du régime forestier. En effet, je crois aussi que :
« La réforme du régime forestier doit clarifier, et non complexifier, la gouvernance en forêt publique. Elle doit, notamment, redonner le pouvoir de décision à des entités enracinées dans les territoires, composées d’acteurs responsables, compétents et imputables. Elle doit aussi restaurer l’indépendance du Forestier en chef et la visibilité des professionnels de la forêt, sans qui aucune réforme ne pourra atteindre ses objectifs. L’Ordre appelle le gouvernement à rectifier le tir et à bâtir un véritable modèle de gouvernance territoriale forestière, crédible, stable et légitime. » »
Qu’est-ce qu’un organisme de bassins versants, comme l’OBAKIR, peut apporter dans la gestion des forêts publiques ?
A.P.R. : « D’abord et avant tout, il m’apparaît primordial de poursuivre notre implication à titre de membres des Tables locales de gestion intégrée des ressources et du territoire (TLGIRT). Ces tables représentent pour nous un espace de concertation privilégié où nous pouvons travailler de concert avec les autres usagers de la forêt publique à une cohabitation harmonieuse et une gestion durable de notre territoire forestier. Ces lieux d’échange inclusifs permettent de faciliter les synergies entre les acteurs et de répondre aux enjeux de l’aménagement durable des forêts, notamment en regard à la gestion intégrée de l’eau.
Alors qu’une des intentions affichées du projet de loi 97 était d’améliorer la régionalisation de l’aménagement forestier, il apparaissait contre-productif d’abolir le principal outil qui permet aux usagers de la forêt de collaborer à développer de manière concertée des mesures de bonne gestion de nos ressources et de faire entendre de manière collective leurs voix. Bien que le fonctionnement des TLGIRT soit perfectible, il permet tout de même de travailler à l’amélioration de la concertation des usages en forêt publique. Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) devrait donc s’appuyer sur les TLGIRT et les années de travail et de construction de relations qu’elles représentent, plutôt que de faire table rase comme il était proposé. »