Irrigation d'un champ

Édition du 3 février 2025

Agriculture et gestion de l’eau: un équilibre à préserver pour un avenir durable

Écrit par Sébastien Cottinet

Peut-on allé­ger les règles admi­nis­tra­tives pour les produc­teurs et produc­trices agri­coles tout en garan­tis­sant la péren­nité de nos ressources en eau ? Ce ques­tion­ne­ment est au cœur du dernier mémoire publié en décembre dernier par le Regrou­pe­ment des orga­nismes de bassins versants du Québec (ROBVQ). En réponse aux propo­si­tions gouver­ne­men­tales d’as­sou­plis­se­ment régle­men­taire, nous avançons quatre recom­man­da­tions concrètes pour que le progrès admi­nis­tra­tif n’aille pas à l’en­contre de la rési­lience envi­ron­ne­men­tale.

La première recom­man­da­tion inter­pelle direc­te­ment les déci­deurs: pourquoi ne pas réin­ves­tir les écono­mies géné­rées par la simpli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive au béné­fice des orga­nismes de bassins versants (OBV)? Ces orga­nismes dévoués à la gestion durable de l’eau et véri­tables gardiens de nos écosys­tèmes aqua­tiques manquent cruel­le­ment de ressources pour collec­ter les données néces­saires à une gestion proac­tive et éclai­rée de l’eau. À l’heure où les chan­ge­ments clima­tiques accen­tuent les pres­sions sur nos bassins versants, pouvons-nous vrai­ment nous permettre de négli­ger cet inves­tis­se­ment stra­té­gique? Chaque dollar réaf­fecté aux OBV pour­rait non seule­ment combler les lacunes d’in­for­ma­tion, mais aussi préve­nir des conflits d’usage coûteux à moyen terme. 

Ensuite, la rigueur des données devient un enjeu incon­tour­nable. La deuxième recom­man­da­tion insiste sur la néces­sité de main­te­nir des exigences strictes en matière de préci­sion des infor­ma­tions sur les prélè­ve­ments d’eau. Imagi­nez un instant les consé­quences d’es­ti­ma­tions trop approxi­ma­tives: des prélè­ve­ments mal évalués, des déci­sions mal infor­mées, et, au bout du compte, des écosys­tèmes fragi­li­sés. Mais cela ne veut pas dire impo­ser des lour­deurs inutiles aux produc­trices et produc­teurs agri­coles. Au contraire, il s’agit de leur four­nir des outils simples et effi­caces pour décla­rer leurs prélè­ve­ments, tout en leur offrant un accom­pa­gne­ment tech­nique adapté. Les OBV, avec le soutien du gouver­ne­ment, pour­raient jouer un rôle clé dans cette tran­si­tion en deve­nant de véri­tables alliés des produc­teurs et produc­trices agri­coles. 

La troi­sième recom­man­da­tion se veut une mise en garde. Repor­ter la mise à jour des analyses de vulné­ra­bi­lité des sources d’eau potable à neuf ans, comme le prévoit le projet actuel, ne devrait être qu’une excep­tion soigneu­se­ment justi­fiée. En neuf ans, les condi­tions clima­tiques et hydro­lo­giques peuvent évoluer de manière drama­tique. Comment garan­tir la sécu­rité de l’eau potable des muni­ci­pa­li­tés si nous nous appuyons sur des données obso­lètes? Ce n’est pas une ques­tion de pessi­misme, mais bien de prudence. Lorsque les risques sont connus et maîtri­sables, un tel délai peut se justi­fier. Mais dans les zones où les ressources en eau sont vulné­rables, chaque année sans mise à jour pour­rait mettre en péril la rési­lience des collec­ti­vi­tés. Le cycle de cinq ans devient alors un mini­mum pour ce genre de situa­tion. 

Enfin, une ques­tion fonda­men­tale se pose: peut-on assou­plir le contrôle des pesti­cides sans compro­mettre la qualité de nos eaux et mettre en péril la santé publique?  La réponse est claire dans notre mémoire: il faut main­te­nir l’obli­ga­tion de justi­fi­ca­tion agro­no­mique pour l’uti­li­sa­tion des produits les plus à risque. Les pesti­cides ne sont pas des substances sans risques. Leur usage, s’il est mal enca­dré, peut entraî­ner une conta­mi­na­tion durable des nappes phréa­tiques et des cours d’eau. Suppri­mer cette justi­fi­ca­tion revien­drait à faire un pari risqué sur la santé de nos écosys­tèmes, un pari que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Dans ce cas-ci, il faut faire appel au prin­cipe de précau­tion que l’on trouve dans la Loi sur le déve­lop­pe­ment durable et main­te­nir un accom­pa­gne­ment et une vali­da­tion pour un meilleur contrôle. 

En somme, ce mémoire n’est pas une oppo­si­tion de prin­cipe à l’al­lè­ge­ment régle­men­taire. Bien au contraire, il propose un équi­libre réflé­chi entre simpli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive et respon­sa­bi­lité envi­ron­ne­men­tale. À travers ces quatre recom­man­da­tions, nous appe­lons à une action poli­tique auda­cieuse, où les gains à court terme ne se font pas au détri­ment des géné­ra­tions futures. La ques­tion est ainsi posée : comment choi­si­rons-nous de proté­ger l’eau, ce bien commun irrem­plaçable, tout en soute­nant nos produc­trices et produc­teurs agri­coles, qui sont au cœur de nos commu­nau­tés et de notre écono­mie ? La réponse se trouve peut-être dans une gestion où tous les citoyens et toutes les citoyennes, les produc­teurs et produc­trices agri­coles, les muni­ci­pa­li­tés, et les OBV jouent un rôle actif et concerté.

Pour consul­ter notre mémoire sur le projet de loi omni­bus en envi­ron­ne­ment visant l’al­lè­ge­ment régle­men­taire pour le secteur agri­cole, rendez-vous sur le site du ROBVQ.