Édition du 1er décembre 2025
Quand les réseaux se rencontrent : Entrevue avec Julie Wright de Nos Eaux Vitales
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Dans un contexte où les pressions climatiques et la fragmentation institutionnelle compliquent la gouvernance de l’eau au Canada, les réseaux deviennent essentiels pour maintenir une vision cohérente et partager les pratiques gagnantes. Cet entretien avec Julie Wright, directrice générale de Nos Eaux Vitales (NEV), met en lumière la valeur de ces alliances pancanadiennes, l’apport spécifique de l’expertise québécoise du ROBVQ et l’importance d’une intelligence collective durable pour la santé de nos bassins versants.
Pour commencer, comment présenteriez-vous Nos Eaux Vitales à quelqu’un qui découvre votre réseau pour la première fois?
J.W. : « Nos Eaux Vitales est un réseau pancanadien fondé en 2014. Il regroupe aujourd’hui plus de 300 organisations qui œuvrent, chacune à leur manière, à la santé de l’eau douce et des bassins versants au pays. Nous nous définissons comme un network of networks, c’est-à-dire une structure qui relie, soutient et amplifie le travail des acteurs régionaux. Notre objectif commun est clair: All Waters in Good Health by 2030. NEV sert de plateforme pour partager des connaissances, coordonner des actions, mettre en lumière des initiatives et renforcer la capacité collective d’agir. »
Le réseau de NEV est très vaste. Comment se construit ce lien entre les organisations qui n’ont pas toutes les mêmes priorités ou outils?
J.W. : « Le cœur du réseau, c’est la relation. Nous avons adopté un modèle d’engagement progressif. Certaines organisations commencent en consultant nos infolettres ou en suivant nos outils de veille. D’autres s’engagent dans des ateliers, partagent leurs histoires d’impact ou participent à des projets ponctuels. Puis il y a celles qui deviennent de véritables partenaires de co-création : ce sont nos water champions. Ce modèle reconnaît que l’engagement se construit avec le temps et qu’un réseau vivant dépend surtout de la qualité des liens qui l’habitent. »
Le Québec occupe une place particulière dans la gouvernance de l’eau. Comment voyez-vous sa contribution au réseau pancanadien?
J.W. : « Le Québec possède un des modèles les plus développés de gouvernance territoriale de l’eau au Canada. Le réseau des organismes de bassins versants (OBV), les plans directeurs de l’eau, la culture de concertation, la vision par bassin versant : ce sont des forces majeures. Pour NEV, le Québec est indispensable. Non seulement pour enrichir les discussions nationales, mais aussi pour inspirer d’autres régions qui cherchent à structurer davantage leurs approches. En retour, le Québec bénéficie de l’exposition à des initiatives qui émergent ailleurs au pays, notamment sur la résilience climatique, sur la gouvernance en contexte autochtone ou sur la gestion de données. Il y a véritablement un échange bidirectionnel. »
Les réseaux sont puissants, mais ils doivent faire face à des défis structurels. Quels sont ceux que vous observez le plus souvent?
J.W. : « Trois défis reviennent constamment.
Le premier, c’est la continuité. Les équipes changent, les mandats évoluent, et une grande partie de la mémoire organisationnelle peut se perdre très vite. Un réseau doit être capable de préserver les apprentissages collectifs malgré ces transitions.
Le deuxième défi concerne le financement. Le travail de tissage — créer des liens, maintenir les relations, aligner les objectifs — est essentiel, mais rarement financé adéquatement. Pourtant, sans ce travail invisible, un réseau ne peut pas fonctionner.
Le troisième défi est lié aux cycles d’opportunité. Parfois, il faut attendre des mois, voire des années, avant qu’un partenariat ne devienne possible. Cela exige de la patience, de la constance et un investissement relationnel de longue durée. »
NEV met beaucoup l’accent sur les récits d’impact. Pourquoi cette dimension narrative est-elle si importante?
J.W. : « Les histoires circulent beaucoup mieux que les rapports techniques. Lorsque les organisations racontent elles-mêmes ce qu’elles ont réalisé, elles inspirent d’autres acteurs, créent des ponts et montrent que le changement est possible. Ce n’est pas un exercice promotionnel : c’est de la transmission de connaissances. Une innovation locale en Alberta, en Saskatchewan ou au Québec peut devenir une solution pour une autre région du pays, simplement parce que l’histoire a été racontée. C’est un accélérateur de collaboration. »
Comment les enjeux climatiques changeants influencent-ils la pertinence d’un réseau comme NEV?
J.W. : « Le climat change plus vite que les institutions. Les événements extrêmes se multiplient : crues, sécheresses, rivières atmosphériques, pressions sur les infrastructures. Aucune région ne peut affronter ces défis seule. Les réseaux permettent d’observer les tendances nationales, de repérer les signaux faibles et de partager des réponses qui ont fait leurs preuves ailleurs. En un mot: ils augmentent la résilience collective. Ils sont l’infrastructure sociale qui donne de la cohérence à un système autrement très fragmenté. »
Le ROBVQ participe aux activités de NEV. Comment cette présence québécoise nourrit-elle les échanges au sein du réseau?
« La contribution du ROBVQ est précieuse. Elle apporte une expertise québécoise structurée, issue d’un modèle territorial complet. Cette vision enrichit les discussions nationales et permet d’ancrer les stratégies de NEV dans une diversité de pratiques. De son côté, le Québec bénéficie du même coup d’un accès direct à un espace d’apprentissage pancanadien, ce qui permet d’enrichir ses propres réflexions, d’anticiper des tendances et d’identifier des collaborations possibles avec d’autres régions du pays. »
Comment voyez-vous l’avenir de cette collaboration avec le Québec?
J.W. : « Les défis hydriques de demain seront plus complexes, plus rapides et plus interconnectés. La collaboration entre NEV et le Québec va devenir de plus en plus importante. Le réseau québécois apporte une structure éprouvée; NEV offre un terrain national où les pratiques peuvent circuler et se comparer. Ensemble, ces deux forces contribuent à bâtir un système de gouvernance de l’eau plus cohérent, plus informé et plus résilient pour l’ensemble du pays. »
Julie, s’il n’y avait qu’une seule notion que vous souhaiteriez que l’on retienne, quelle serait-elle ?
J.W. : « S’il fallait retenir une seule notion, ce serait celle-ci : la valeur d’un réseau ne réside pas strictement dans ses projets, mais dans sa capacité à préserver, faire circuler et amplifier la connaissance collective. Les défis qui touchent l’eau aujourd’hui, qu’ils soient climatiques, institutionnels ou sociaux, sont trop vastes pour être abordés en silo. La seule manière d’avancer, c’est d’entretenir des liens solides entre les organisations, de partager nos apprentissages et de reconnaître que chaque territoire détient une partie de la solution. Quand les connaissances se transmettent bien, le réseau devient plus fort que la somme de ses membres. C’est ce qui nous permet, ensemble, de protéger l’eau de manière durable. »

Julie Wright, en visite sur le terrain
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When Networks Meet: Interview with Julie Wright from Our Living Waters
Interview conducted by Sébastien Cottinet, ROBVQ
As climate pressures and institutional fragmentation make water governance increasingly complex in Canada, networks have become essential for maintaining a coherent vision and sharing successful practices. This interview with Julie Wright, Executive Director of Our Living Waters (OLW), highlights the value of these Canada-wide alliances, the unique contribution of Quebec expertise through the ROBVQ, and the importance of sustainable collective intelligence for the health of our watersheds.
To begin, how would you introduce Our Living Waters to someone discovering your network for the first time?
J.W.: “Our Living Waters is a Canada-wide network founded in 2014. Today, it brings together more than 300 organizations that each contribute in their own way to the health of freshwater and watersheds across the country. We describe ourselves as a network of networks, meaning a structure that connects, supports, and amplifies the work of regional actors. Our shared objective is clear: All Waters in Good Health by 2030. OLW acts as a platform to share knowledge, coordinate actions, highlight initiatives, and strengthen our collective capacity to act.”
OLW is a very broad network. How do you build connections between organizations that don’t all share the same priorities or tools?
J.W.: “Relationships are the heart of the network. We’ve adopted a model of progressive engagement. Some organizations start by reading our newsletters or using our monitoring tools. Others join workshops, share impact stories, or participate in specific projects. And then there are those who become true co-creation partners: our water champions. This model recognizes that engagement takes time, and that a living network depends most of all on the quality of the relationships that make it up.”
Quebec has a unique place in water governance. How do you see its contribution to the Canada-wide network?
J.W.: “Quebec has one of the most developed territorial water-governance models in Canada. The watershed organizations (OBV), watershed master plans, its culture of collaboration, and its watershed-based vision are major strengths. For OLW, Quebec is essential, not only to enrich national discussions, but also to inspire other regions looking to structure their approaches. In return, Quebec gains exposure to initiatives that emerge elsewhere in the country, especially around climate resilience, Indigenous-led governance, and data management. There’s a real two-way exchange.”
Networks are powerful, but they face structural challenges. Which ones do you see most often?
J.W.: “Three challenges come up again and again.
The first is continuity. Teams change, mandates evolve, and a lot of organizational memory can be lost quickly. A network must be able to preserve collective learnings despite these transitions.
The second challenge is funding. The weaving work — building connections, maintaining relationships, aligning goals — is essential but rarely funded properly. And without that invisible work, a network can’t function.
The third challenge relates to opportunity cycles. Sometimes it takes months or years before a partnership becomes possible. It takes patience, consistency, and long-term relational investment.”
OLW places a lot of emphasis on impact stories. Why is this narrative dimension so important?
J.W.: “Stories travel much better than technical reports. When organizations tell their own achievements, they inspire others, create bridges, and show that change is possible. It’s not about promotion, it’s about knowledge sharing. A local innovation in Alberta, Saskatchewan, or Quebec can become a solution elsewhere simply because the story was told. It’s a collaboration accelerator.”
How do changing climate issues affect the importance of a network like OLW?
J.W.: “The climate is changing faster than institutions. Extreme events are multiplying: floods, droughts, atmospheric rivers, pressure on infrastructure. No region can face these challenges alone. Networks help us observe national trends, detect weak signals, and share responses that have worked elsewhere. In one word: they increase collective resilience. They’re the social infrastructure that brings coherence to an otherwise fragmented system.”
The ROBVQ participates in OLW’s activities. How does this Quebec presence enrich exchanges within the network?
“The ROBVQ’s contribution is invaluable. It brings a structured Quebec expertise rooted in a complete territorial model. This perspective enriches national discussions and helps anchor OLW’s strategies in a diversity of practices. Quebec, in turn, gains direct access to a country-wide learning space, which helps strengthen its thinking, anticipate trends, and identify possible collaborations with other regions.”
How do you see the future of this collaboration with Quebec?
J.W.: “Water-related challenges will become more complex, faster-moving, and more interconnected. Collaboration between OLW and Quebec will only grow in importance. The Quebec network brings a proven structure; OLW offers a national arena where practices can circulate and be compared. Together, these strengths help build a more coherent, informed, and resilient water-governance system for the entire country.”
Julie, if there were only one takeaway you’d want readers to remember, what would it be?
J.W.: “If there’s one idea to remember, it’s this: the value of a network doesn’t lie strictly in its projects, but in its ability to preserve, circulate, and amplify collective knowledge. The challenges affecting water today — climatic, institutional, or social — are too large to tackle in isolation. The only way forward is to maintain strong connections between organizations, share our learnings, and recognize that every territory holds part of the solution. When knowledge circulates well, the network becomes stronger than the sum of its parts. That’s what allows us, together, to protect water sustainably.”