Édition du 1er décembre 2025
Sels de voirie et environnement : Entrevue avec Jean-Philippe Robitaille du MTMD
Bien que les sels de voirie soient indispensables pour assurer la sécurité des usagers et usagères de la route, ceux-ci ont une empreinte indéniable sur nos lacs, nos rivières et nos nappes phréatiques. Il est alors impératif de trouver l’équilibre entre sécurité et protection de l’environnement. Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons rencontré Jean-Philippe Robitaille, conseiller en environnement au ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD).
Avant de plonger au cœur du sujet, parlez-nous brièvement de votre parcours professionnel et de votre rôle au sein du ministère des Transports et de la Mobilité durable.
JPR : « Je suis biologiste de formation et j’ai complété une maîtrise en environnement durant laquelle j’ai eu l’opportunité de débuter ma carrière au MTMD comme stagiaire. Au cours des 15 dernières années, mes fonctions à titre de conseiller en environnement m’ont permis de travailler sur plusieurs enjeux différents et de développer une expertise particulière en gestion environnementale des sels de voirie. Aujourd’hui, la gestion de la végétation des abords de route occupe également une partie importante de mon temps. »
Au Québec, comment se partage la responsabilité de l’entretien des routes?
JPR : « Le réseau routier québécois est divisé en trois catégories, soit le réseau supérieur, le réseau local et le réseau d’accès aux ressources. De manière générale, le réseau supérieur (autoroutes, routes nationales, régionales et collectrices) se retrouve sous la gestion du MTMD alors que le réseau local relève des municipalités. En hiver, environ 20 % du réseau supérieur est entretenu par les équipes du Ministère et 80 % à l’externe par des prestataires de services, soit avec la collaboration d’entrepreneurs et de municipalités. »
Que pouvez-vous nous dire sur la manière typique ou usuelle d’entretenir nos routes au Québec l’hiver?
JPR : "Chaque année, la quantité totale de sel épandue pour l’entretien hivernal au Québec est estimée à 1,5 million de tonnes. Contrairement à la croyance populaire, la grande majorité de ce sel est constitué de chlorure de sodium, et non de calcium.
Les opérations d’entretien hivernal ont pour objectif d’utiliser la bonne quantité des bons matériaux, au bon endroit et au bon moment. Le sel est utilisé pour faire fondre la neige ou la glace alors que les abrasifs (sable ou petites pierres) permettent plutôt de sécuriser la chaussée en améliorerant l’adhérence des pneus. Différents mélanges de sel et d’abrasifs sont également utilisés.
Les exigences de déneigement et de déglaçage varient selon les caractéristiques propres à chaque circuit d’entretien. La quantité et le type de matériaux épandus seront donc ajustés en fonction des conditions routières attendues à un endroit donné. Par exemple, une chaussée dégagée sur toute la largeur doit être maintenue sur les autoroutes alors que les routes collectrices peuvent être entretenues sur un fond de neige durcie.
Enfin, les stratégies d’entretien sont déterminées en fonction des conditions météoroutières en cours et à venir, notamment en considérant des paramètres comme la température de surface, la température de l’air et le trafic."
Quels sont les impacts potentiels de l’utilisation des sels de voirie, notamment sur l’environnement et les ressources hydriques?
JPR : "Les sels de voirie ont des impacts qui peuvent entraîner des coûts significatifs pour la société, mais qui ne sont pas toujours aussi évidents à l’œil nu que ceux liés à la corrosion des infrastructures et des véhicules.
Par exemple, le sel peut affecter la composition animale ou végétale d’un milieu récepteur en remplaçant certaines espèces par des espèces compétitrices plus tolérantes au sel, mais parfois moins désirables, comme l’herbe à poux ou le phragmite. L’épandage de sel sur les routes crée également un effet d’attraction pour la faune et augmente le risque de collision avec les usagers.
À moyen et plus long terme, les sels de voirie peuvent également porter atteinte à la qualité des ressources hydriques. D’importantes concentrations de sel dans l’eau peuvent être toxiques pour certaines espèces aquatiques moins tolérantes, tant au niveau de la faune, de la flore que des micro-organismes, affectant directement la chaîne alimentaire. Dans de plus rares cas, le sel peut compromettre le brassage saisonnier des eaux dans les lacs, un phénomène essentiel pour assurer une bonne répartition de l’oxygène et des nutriments dans la colonne d’eau. Lorsqu’un écosystème est soumis à de tels stress, un changement peut être observé dans la composition des espèces du milieu.
Finalement, environ 55 % des chlorures qui composent les sels de voirie s’infiltreront dans les eaux souterraines, pouvant altérer à certains endroits le goût ou l’odeur de l’eau potable, sans toutefois représenter un danger pour la santé des consommateurs.
C’est pourquoi il est important de rechercher un équilibre, en adoptant les meilleures pratiques d’épandage, pour assurer la sécurité des usagers tout en limitant l’impact sur l’environnement."
En 2010, le MTMD a adhéré à la Stratégie québécoise pour une gestion environnementale des sels de voirie (SQGESV). Quel est l’objectif de cette stratégie et quels partenaires implique-t-elle?
JPR : "La SQGESV vise la réduction des effets des sels de voirie sur l’environnement sans nuire à la sécurité routière et à la circulation. Elle invite les administrations publiques et privées à adopter les meilleures pratiques dans le domaine afin de gérer de façon plus efficiente leurs sels de voirie. Un site web a donc été développé afin de supporter ces administrations dans leur démarche en diffusant les bonnes pratiques fondées sur de nouvelles connaissances et de nouvelles technologies.
Cette stratégie québécoise a été lancée en 2010 par les cinq partenaires que sont le MTMD, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Le MTMD en assure la mise en œuvre."
Quelles sont les meilleures pratiques pour réduire les impacts négatifs de l’utilisation des sels de voirie?
JPR : "De manière générale, les meilleures pratiques peuvent être regroupées à travers les quatre voies d’introduction du sel dans l’environnement, soit l’approvisionnement, l’entreposage, l’épandage et l’élimination de la neige, sans oublier l’importance du volet de la planification et de la mise en œuvre (formation, communication, etc.). Il serait beaucoup trop long de dresser la liste complète des meilleures pratiques, mais les exemples suivants permettent de survoler les principaux thèmes.
- Des matériaux de qualité agissent de façon plus efficiente sur les routes. Il importe donc de s’assurer que le chlorure de sodium répond à des standards précis, notamment en ce qui concerne le taux d’humidité, la granulométrie et la teneur en chlorure de sodium.
- Les centres d’entreposage et de manutention des sels de voirie peuvent représenter une source de pollution ponctuelle. Cependant, le choix de l’emplacement, c’est-à-dire à l’extérieur d’un périmètre de protection des zones vulnérables, la conception du site ainsi que le respect des bonnes pratiques de manutention permettent de réduire le risque d’impact sur l’environnement.
- Divers équipements sont disponibles et permettent d’optimiser les opérations d’entretien hivernal. Parmi ces équipements, le régulateur d’épandage électronique est un appareil permettant de contrôler la quantité de matériaux (sels, abrasifs ou mélange) et des liquides épandus sur la route en fonction du taux d’épandage demandé et de la vitesse réelle du véhicule. Il favorise donc une application précise et constante des matériaux sur tout le parcours.
- L’ajout d’une saumure liquide aux sels de voirie permet de réduire les quantités totales de matériaux utilisés dans certaines conditions. Cette technique, appelée la préhumidification, permet aux fondants d’agir plus rapidement et ainsi de diminuer les pertes solides hors de la chaussée causées par le passage des véhicules. De plus, le sel préhumidifié performe à des températures plus basses."
Depuis son engagement envers la SQGESV, le MTMD élabore et met en œuvre un plan ministériel de gestion environnementale des sels de voirie (PMGESV). Pouvez-vous nous parler de quelques actions concrètes phares de l’édition 2023–2026 de ce plan?
JPR : "L’édition 2023–2026 du PMGESV comprend plus d’une quarantaine d’actions. Voici selon moi trois exemples concrets afin de réduire la consommation de sel et ses effets sur l’environnement.
· La mise en œuvre de la technique de la préhumidification au MTMD s’est poursuivie alors que 21 sites supplémentaires ont été équipés, en plus de la modification des camions, portant le nombre total de sites à 60.
· L’ajout des lames adaptables (caoutchouc, à ressort) sur les camions du MTMD permet d’optimiser les opérations de grattage et de diminuer la quantité de neige résiduelle, ce qui implique moins de sel nécessaire pour dégager la chaussée.
· Le développement des connaissances et la gestion des zones vulnérables est mise en valeur, notamment avec le suivi de 10 lacs susceptibles d’être affectés par les pratiques d’entretien hivernal, l’élaboration d’un indice de vulnérabilité aux sels de voirie disponible sous forme de couches cartographiques et l’implantation de nouvelles écoroutes d’hiver."
Que savez-vous des nouvelles techniques utilisées ou à l’étude pour l’entretien durable des routes en hiver?
JPR : "De nombreuses études ont été réalisées au cours des dernières années dans le but de réduire la consommation de sels de voirie ou de traiter les eaux de ruissellement routier. La construction de marais filtrants adaptés, le traitement électrolytique, l’enrobé drainant ou la recherche de produits alternatifs en sont de beaux exemples. Malheureusement, aucune d’entre elles n’a su démontrer son efficacité à l’extérieur des laboratoires ou à plus grande échelle jusqu’ici. Bien que les activités de recherche se poursuivent et constituent une priorité, l’utilisation de la bonne quantité, au bon endroit et au bon moment demeure la meilleure solution à ce jour.
En ce sens, l’écoroute d’hiver est un concept relativement nouveau qui représente un mode d’entretien alternatif selon lequel la fréquence des opérations de déneigement est augmentée et l’utilisation d’abrasifs est privilégiée. Elles sont implantées à proximité d’une zone vulnérable aux sels de voirie, telles qu’une prise d’eau potable, un lac, un milieu humide ou encore à proximité de l’habitat d’une espèce à statut particulier. Plusieurs critères doivent toutefois être respectés afin d’assurer la sécurité des usagers. En date d’aujourd’hui, 39 écoroutes d’hiver ont été implantées sur le réseau routier entretenu par le MTMD, une statistique qui ne cesse d’augmenter d’année en année."
Crédit pour la photo d’entête: Krasula, Shutterstock
Crédit pour la photo de Jean-Philippe Robitaille: MTMD