Saumon atlantique

Édition du 7 octobre 2024

La situation du saumon atlantique : entrevue avec Michaël Leblanc

Entrevue réalisée par Caroline Gagné

Michaël LeblancL’été dernier, le nombre de saumons de l’At­lan­tique ayant remonté les rivières pour aller frayer a été en baisse un peu partout au Québec. Pourquoi? Quelles initia­tives doivent être mises en place pour remé­dier à la situa­tion? Pour faire le tour de la ques­tion, nous avons rencon­tré Michaël Leblanc, direc­teur géné­ral de la Corpo­ra­tion du bassin de la Jacques-Cartier (CBJC) qui est aussi, de toute évidence, un passionné du saumon.

 

Avant d’en­trer dans le vif du sujet, pour­riez-vous nous parler un peu de votre parcours profes­sion­nel?

M.L. : Je suis biolo­giste de forma­tion et j’ai fait une maîtrise en aména­ge­ment du terri­toire et déve­lop­pe­ment régio­nal. 

Avant de commen­cer à travailler à la CBJC, en 2017, j’ai touché un peu à tout. J’ai travaillé sur la faune terrestre, notam­ment sur l’ori­gnal et les micro­mam­mi­fères. J’ai fait un passage au minis­tère des Trans­ports ou je travaillais sur le libre passage des pois­sons et sur la plani­fi­ca­tion des inter­ven­tions de lutte contre les plantes exotiques enva­his­santes. Fina­le­ment, j’ai travaillé deux ans au Service cana­dien des Forêts sur divers projets de recherche en ento­mo­lo­gie fores­tière, plus préci­sé­ment sur les espèces para­si­toïdes de la tordeuse des bour­geons de l’épi­nette.    

Mes spécia­li­tés actuelles sont défi­ni­ti­ve­ment le saumon atlan­tique de la rivière Jacques-Cartier et les plantes exotiques enva­his­santes. 

Quels sont les projets de la CBJC en lien avec le saumon atlan­tique? 

M.L. : Nos projets récur­rents sont :

  • Transport du saumonLe trans­port des saumons géni­teurs en camion-citerne à partir de la passe migra­toire de la Jacques-Cartier située à Cap-Santé. Ça fait main­te­nant plus de 35 ans que la CBJC aide les saumons à passer les obstacles infran­chis­sables! Avant que la pêche soit inter­dite sur la Jacques-Cartier, en 2004, nous en trans­por­tions seule­ment une partie. Main­te­nant, nous les trans­por­tons tous. Nous savons donc exac­te­ment le nombre de petits et grands saumons géni­teurs qui remontent annuel­le­ment dans la Jacques-Cartier.
  • La Trousse éduca­tive sur la biolo­gie du saumon atlan­tique. Les écoles et établis­se­ments de la région ont sous leur respon­sa­bi­lité un aqua­rium où la CBJC va dépo­ser une centaine d’œufs de saumon prove­nant de la Jacques-Cartier à l’hi­ver. Les élèves en prennent grand soin et observent leur crois­sance jusqu’au mois de juin où ils vont ense­men­cer leurs petits pois­sons de 3 cm dans la rivière Jacques-Cartier. Ce projet est réalisé par la CBJC depuis plus de 20 ans déjà!
  • Le suivi des saumons juvé­niles aux trois centrales hydro-élec­triques de Pont-Rouge. Essen­tiel­le­ment, nous accom­pa­gnons les opéra­teurs des centrales. Nous nous assu­rons que les instal­la­tions sont sécu­ri­taires pour les saumo­neaux, notam­ment au niveau des prises d’eau. En complé­ment, à tous les quatre ans, car le cycle du saumon est de cinq ans, nous réali­sa­tions une étude de dénom­bre­ment des saumo­neaux en déva­lai­son par une méthode de capture – marquage à l’élas­to­mère – recap­ture. Nous prenons égale­ment des mesures biomé­triques de petits saumons juvé­niles pour évaluer leurs condi­tions de crois­sance.
  • L’ac­cueil de visi­teurs et groupes à la passe migra­toire qui nous permet de rensei­gner le public sur la biolo­gie du saumon et sur tout le bassin versant tout en admi­rant les saumons à quelques centi­mètres via deux grandes fenêtres d’ob­ser­va­tion dont est consti­tuée la passe migra­toire. Les gens peuvent même assis­ter au trans­port du saumon!

Nous avons aussi des projets ponc­tuels comme l’in­ven­taire et la carac­té­ri­sa­tion des frayères et des refuges ther­miques et celui sur l’ADN envi­ron­ne­men­tal que l’on mène avec l’INRS. Ce dernier vise à être en mesure d’ob­te­nir des données sur le saumon, unique­ment à l’aide d’un échan­tillon d’eau. Aussi, plusieurs de nos projets sont à voca­tion éduca­tive et visent à faire croître la présence du saumon dans le bassin versant. 

Avez-vous constaté une baisse de la présence des saumons cette année dans la Jacques-Cartier?

M.L.: Tout à fait. La rivière Jacques-Cartier ne fait pas excep­tion à la situa­tion très préoc­cu­pante que l’on vit  présen­te­ment pour le saumon atlan­tique partout au Québec et même au-delà. Concrè­te­ment, on s’at­ten­dait à une montai­son de 300 saumons et, en date du 12 septembre, nous en comp­tions seule­ment 98. Cette année, on compte de trois à cinq fois moins de saumons en montai­son dans les rivières du Québec.  

Cette baisse a-t-elle affecté les acti­vi­tés de la CBJC?

M.L. : Éton­nam­ment, cette baisse a compliqué le trans­port du saumon. Il y avait plus de micro­ges­tion à faire, surtout lors des grandes chaleurs et des faibles débits de la rivière.

Aussi, à notre centre d’in­ter­pré­ta­tion, nous avons dû nous renou­ve­ler et penser à des acti­vi­tés connexes puisque notre produit vedette était moins présent. 

Plusieurs théo­ries ont été avan­cées en juillet dernier pour expliquer la baisse notable de saumons dans les rivières du Québec. Trois mois plus tard, avons-nous plus d’ex­pli­ca­tions? Selon vous, quels sont les facteurs en causes? 

M.L. : Certains éléments restent hypo­thé­tiques, mais certains facteurs sont mieux compris. 

Pour saisir, il faut remon­ter à 2023 où il y a eu un autre phéno­mène géné­ra­lisé : il y a eu globa­le­ment peu de petits pois­sons-géni­teurs (made­lei­neaux ou uniber­ma­rins) qui ont remonté les dizaines de rivières à saumon où il y a dénom­bre­ment des géni­teurs au Québec. Une baisse de 65% a été obser­vée par rapport à la moyenne des cinq dernières années! Cela nous indiquait qu’il y a proba­ble­ment eu beau­coup de morta­li­tés de saumo­neaux en déva­lai­son ou en mer. On s’at­ten­dait donc à ce que peu de saumons géni­teurs reviennent dans les rivières cette année, mais la situa­tion s’est malheu­reu­se­ment révé­lée encore plus préoc­cu­pante que ce qui avait été envi­sagé. Qu’est-ce qui a pu provoquer la morta­lité des saumons? Entre autres, les tempé­ra­tures très élevées, notam­ment dans le golfe du Saint-Laurent, sont certai­ne­ment à blâmer.

Il faut ajou­ter à cela les condi­tions météo­ro­lo­giques de cet été. Nous avons eu peu d’eau, ce qui peut déso­rien­ter les pois­sons qui sont atti­rés par les chutes, le bruit et les appels d’eau. 

Le phéno­mène a été géné­ra­lisé et pas seule­ment au Québec. Plusieurs rivières à saumon atlan­tique en Europe ont connu des résul­tats simi­laires à ceux du Québec. Tout indique que les morta­li­tés se produisent en mer et à l’es­tuaire.

Selon vous, quelles actions à court et moyen terme devraient être mises en place par le gouver­ne­ment du Québec et les parte­naires impliqués dans la conser­va­tion du saumon pour réta­blir la situa­tion?

M.L. : Selon moi, il faut adop­ter une gestion adap­ta­tive. Il faut éviter d’im­po­ser des mesures dras­tiques trop rapi­de­ment, notam­ment au niveau de la pêche. Les pêcheurs sont nos yeux dans les rivières à saumons! 

Par contre, il est néces­saire de faire un suivi encore plus serré, plus rigou­reux et de déve­lop­per des méca­nismes pour être en mesure de lever les drapeaux rouges rapi­de­ment, d’im­po­ser des mesures en fonc­tion de la situa­tion.

Les solu­tions doivent aussi venir du milieu. Les pêcheurs sont déjà sensi­bi­li­sés à la protec­tion de la ressource. Il faut les inclure dans les déci­sions. Un travail de concer­ta­tion doit être fait pour gérer saine­ment le saumon. L’ap­proche des orga­nismes de bassins versants (OBV) a ici tout son sens.

Fina­le­ment, il serait peut-être inté­res­sant de profi­ter des prochains mois pour consul­ter en amont les acteurs impliqués dans la conser­va­tion du saumon pour être en mesure d’agir plus rapi­de­ment l’an­née prochaine. La saison de pêche est si courte!