Édition du 2 décembre 2024
L'Agence canadienne de l'eau : une occasion de redéfinir la gestion de l'eau ou un risque de complexification inutile?
Avec l’annonce de la création de l’Agence canadienne de l’eau, le gouvernement fédéral veut affirmer son leadership dans la gestion de l’eau douce à l’échelle nationale. Pour le Québec, cette initiative peut être perçue comme une épée à double tranchant : une occasion de renforcer les pratiques existantes ou un risque de redondance bureaucratique. Le système québécois de gestion de l’eau, bien qu’imparfait, repose sur une structure ancrée localement avec les Organismes de bassins versants (OBV), qui ont été au cœur de l’effort collectif pour coordonner la protection et la gestion des ressources en eau.
L’initiative fédérale présente un potentiel certain si elle vise à soutenir le modèle de gestion intégrée déjà en place, apportant des ressources additionnelles, des expertises scientifiques accrues et une vision partagée des objectifs de qualité de l’eau. L’Agence pourrait se positionner comme un levier pour renforcer les capacités locales des OBV, notamment en élargissant les collaborations interprovinciales et en facilitant le partage de données scientifiques et techniques sur la qualité de l’eau. En misant sur une gouvernance ouverte, elle pourrait également jouer un rôle crucial en améliorant la préparation face aux enjeux croissants, tels que les épisodes de sécheresse ou d’inondations, aggravés par les changements climatiques.
Toutefois, pour être perçue comme un véritable atout, l’Agence canadienne de l’eau devra éviter le piège d’une approche centralisée trop directive. Le Québec, avec son système bien établi et ancré dans les communautés locales, n’a pas besoin d’une nouvelle structure qui viendrait superposer des règles administratives éloignées des besoins concrets du terrain. Les différentes expériences internationales montrent que les agences centralisées peuvent parfois créer des inefficacités et entraver l’engagement des acteurs du milieu par des processus administratifs complexes. C’est un enjeu que l’on ne peut ignorer, surtout dans un contexte où l’eau est une ressource si précieuse et complexe à gérer en raison de sa transversalité à travers les nombreux usages et nécessitant une approche intégrée.
Pour réussir, l’Agence devrait adopter une stratégie de subsidiarité, c’est-à-dire se placer au service des structures déjà existantes, comme les OBV, et non chercher à les remplacer ou les diluer. Elle devrait agir comme facilitatrice, apportant son soutien lorsque nécessaire, mais en respectant la réalité des dynamiques locales. Par exemple, la préservation des écosystèmes aquatiques, la gestion des crues ou encore la prévention de la pollution agricole sont des questions qui nécessitent une compréhension fine du territoire, des usages et des acteurs locaux. Une intervention fédérale qui ne tiendrait pas compte de ces subtilités pourrait causer davantage de torts que de bénéfices.
Un autre enjeu clé est la relation avec les peuples autochtones. La gestion de l’eau douce au Canada ne peut plus ignorer les droits et les perspectives des communautés autochtones, pour qui l’eau est souvent sacrée et liée à la vie culturelle et sociale. L’Agence doit intégrer ces perspectives dans son fonctionnement et s’assurer que les peuples autochtones jouent un rôle décisif dans les processus décisionnels liés à la gouvernance de l’eau.
Finalement, la question de la coordination intergouvernementale reste prépondérante. La gestion de l’eau est une compétence partagée au Canada, et la collaboration entre les différents paliers de gouvernement sera essentielle pour assurer le succès de cette nouvelle agence. Si elle souhaite avoir un impact positif, l’Agence canadienne de l’eau devra se concentrer sur la complémentarité, en veillant à ne pas engendrer de frictions susceptibles de ralentir la mise en œuvre des actions nécessaires sur le terrain.
L’Agence canadienne de l’eau pourra être un outil puissant pour la protection et la gestion des ressources en eau au Canada, mais seulement si elle fait le choix d’une approche collaborative, respectueuse des contextes locaux et à l’écoute des besoins des communautés qui vivent au quotidien les réalités liées à l’eau.
Rappelons que le gouvernement du Canada a prévu un budget de 85,1 millions de dollars sur cinq ans pour la création de l’Agence canadienne de l’eau, avec un financement continu de 21 millions de dollars par la suite. Le siège de l’Agence est situé à Winnipeg, et cinq bureaux régionaux seront établis à travers le pays, dont un à Québec, afin de répondre aux enjeux régionaux liés à l’eau douce.