Ottawa

Édition du 2 décembre 2024

L'Agence canadienne de l'eau : une occasion de redéfinir la gestion de l'eau ou un risque de complexification inutile?

Écrit par Sébastien Cottinet

Avec l’an­nonce de la créa­tion de l’Agence cana­dienne de l’eau, le gouver­ne­ment fédé­ral veut affir­mer son leader­ship dans la gestion de l’eau douce à l’échelle natio­nale. Pour le Québec, cette initia­tive peut être perçue comme une épée à double tran­chant : une occa­sion de renfor­cer les pratiques exis­tantes ou un risque de redon­dance bureau­cra­tique. Le système québé­cois de gestion de l’eau, bien qu’im­par­fait, repose sur une struc­ture ancrée loca­le­ment avec les Orga­nismes de bassins versants (OBV), qui ont été au cœur de l’ef­fort collec­tif pour coor­don­ner la protec­tion et la gestion des ressources en eau. 

L’ini­tia­tive fédé­rale présente un poten­tiel certain si elle vise à soute­nir le modèle de gestion inté­grée déjà en place, appor­tant des ressources addi­tion­nelles, des exper­tises scien­ti­fiques accrues et une vision parta­gée des objec­tifs de qualité de l’eau. L’Agence pour­rait se posi­tion­ner comme un levier pour renfor­cer les capa­ci­tés locales des OBV, notam­ment en élar­gis­sant les colla­bo­ra­tions inter­pro­vin­ciales et en faci­li­tant le partage de données scien­ti­fiques et tech­niques sur la qualité de l’eau. En misant sur une gouver­nance ouverte, elle pour­rait égale­ment jouer un rôle crucial en amélio­rant la prépa­ra­tion face aux enjeux crois­sants, tels que les épisodes de séche­resse ou d’inon­da­tions, aggra­vés par les chan­ge­ments clima­tiques.

Toute­fois, pour être perçue comme un véri­table atout, l’Agence cana­dienne de l’eau devra éviter le piège d’une approche centra­li­sée trop direc­tive. Le Québec, avec son système bien établi et ancré dans les commu­nau­tés locales, n’a pas besoin d’une nouvelle struc­ture qui vien­drait super­po­ser des règles admi­nis­tra­tives éloi­gnées des besoins concrets du terrain. Les diffé­rentes expé­riences inter­na­tio­nales montrent que les agences centra­li­sées peuvent parfois créer des inef­fi­ca­ci­tés et entra­ver l’en­ga­ge­ment des acteurs du milieu par des proces­sus admi­nis­tra­tifs complexes. C’est un enjeu que l’on ne peut igno­rer, surtout dans un contexte où l’eau est une ressource si précieuse et complexe à gérer en raison de sa trans­ver­sa­lité à travers les nombreux usages et néces­si­tant une approche inté­grée. 

Pour réus­sir, l’Agence devrait adop­ter une stra­té­gie de subsi­dia­rité, c’est-à-dire se placer au service des struc­tures déjà exis­tantes, comme les OBV, et non cher­cher à les rempla­cer ou les diluer. Elle devrait agir comme faci­li­ta­trice, appor­tant son soutien lorsque néces­saire, mais en respec­tant la réalité des dyna­miques locales. Par exemple, la préser­va­tion des écosys­tèmes aqua­tiques, la gestion des crues ou encore la préven­tion de la pollu­tion agri­cole sont des ques­tions qui néces­sitent une compré­hen­sion fine du terri­toire, des usages et des acteurs locaux. Une inter­ven­tion fédé­rale qui ne tien­drait pas compte de ces subti­li­tés pour­rait causer davan­tage de torts que de béné­fices. 

Un autre enjeu clé est la rela­tion avec les peuples autoch­tones. La gestion de l’eau douce au Canada ne peut plus igno­rer les droits et les pers­pec­tives des commu­nau­tés autoch­tones, pour qui l’eau est souvent sacrée et liée à la vie cultu­relle et sociale. L’Agence doit inté­grer ces pers­pec­tives dans son fonc­tion­ne­ment et s’as­su­rer que les peuples autoch­tones jouent un rôle déci­sif dans les proces­sus déci­sion­nels liés à la gouver­nance de l’eau.

Fina­le­ment, la ques­tion de la coor­di­na­tion inter­gou­ver­ne­men­tale reste prépon­dé­rante. La gestion de l’eau est une compé­tence parta­gée au Canada, et la colla­bo­ra­tion entre les diffé­rents paliers de gouver­ne­ment sera essen­tielle pour assu­rer le succès de cette nouvelle agence. Si elle souhaite avoir un impact posi­tif, l’Agence cana­dienne de l’eau devra se concen­trer sur la complé­men­ta­rité, en veillant à ne pas engen­drer de fric­tions suscep­tibles de ralen­tir la mise en œuvre des actions néces­saires sur le terrain.

L’Agence cana­dienne de l’eau pourra être un outil puis­sant pour la protec­tion et la gestion des ressources en eau au Canada, mais seule­ment si elle fait le choix d’une approche colla­bo­ra­tive, respec­tueuse des contextes locaux et à l’écoute des besoins des commu­nau­tés qui vivent au quoti­dien les réali­tés liées à l’eau.  

Rappe­lons que le gouver­ne­ment du Canada a prévu un budget de 85,1 millions de dollars sur cinq ans pour la créa­tion de l’Agence cana­dienne de l’eau, avec un finan­ce­ment continu de 21 millions de dollars par la suite. Le siège de l’Agence est situé à Winni­peg, et cinq bureaux régio­naux seront établis à travers le pays, dont un à Québec, afin de répondre aux enjeux régio­naux liés à l’eau douce.