Édition du 1er avril 2024
Inondations printanières : Comprendre le phénomène et y faire face
Bien que les inondations puissent avoir lieu à tout moment de l’année, elles sont plus susceptibles de se produire au printemps, pendant la période de fonte des neiges. Jérémie Roques, qui a mené de nombreux projets en lien avec cet aléa hydroclimatique au Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ) dont la Documentation des inondations et l’Analyse coûts-avantages de l’adaptation aux inondations en contexte de changements climatiques, a accepté de répondre à nos questions sur le sujet. Son objectif premier: nous aider à évaluer notre vulnérabilité face à aux inondations et améliorer notre résilience collective.
Comment se forment les inondations?
J.R. : "En quelques mots, les inondations c’est un peu comme lorsqu’une gouttière déborde en temps de pluie : trop d’eau en circulation d’un coup, l’eau s’échappe des deux côtés.
En pratique, bien entendu, c’est un peu plus complexe et il peut y avoir plusieurs raisons au débordement d’un cours d’eau, mais on s’entend globalement pour dire que les inondations correspondent au dépassement de la capacité du cours d’eau à drainer l’eau qui vient de l’amont vers l’aval. Les causes peuvent se combiner. Par exemple, le niveau d’eau en aval peut déjà être important et les apports en ruissellement sur des versants, déjà saturés en eau, trop importants et rapides pour pouvoir être drainés par le cours d’eau, il y a alors débordement.
La notion de temporalité est ici essentielle. Une inondation, c’est dynamique et c’est toujours caractérisé, localement, par un moment fort, un pic de crue et une altitude maximale atteinte par le niveau de l’eau.
De plus, et c’est une spécificité du régime hydrologique du Québec, particulièrement dans le sud où les variations de température au printemps sont importantes, on observe des inondations par embâcle. Un embâcle, c’est l’obstruction totale ou partielle du cours d’eau, empêchant son écoulement normal et générant une inondation. Dans ce cas, l’inondation a généralement lieu en amont. Le cours d’eau monte en charge jusqu’à un point de rupture. La débâcle aura des répercussions en aval."
Nous savons maintenant que le développement urbain a augmenté les risques d’inondation. Pourquoi?
J.R. : "Il y a plusieurs éléments dans cette question.
D’abord, le développement urbain se traduit par l’augmentation des actifs, nous parlons ici d’enjeux qui se chiffrent en dollars ou en vies humaines, que l’on ne souhaite pas voir submergés par l’eau. Ces enjeux sont à l’origine de risques : s’il n’y a pas d’actifs vulnérables à protéger, alors le risque est inexistant ! Laissons en effet la rivière sortir de son lit !
La deuxième notion, importante ici encore, est celle de l’influence de l’augmentation des surfaces urbaines, généralement imperméable, dans la dynamique temporelle d’une inondation.
Simplement, lorsque l’eau de pluie atteint le sol, elle peut suivre plusieurs chemins : elle s’infiltre, elle ruisselle, ou elle s’évapore. Un sol naturel, avec ce qu’il peut contenir de diversité végétale, favorisera l’infiltration et le ralentissement de l’écoulement. Au contraire, un sol à nu, voir imperméabilisé, ne ralentira pas l’eau et ne réduira pas non plus la quantité d’eau atteignant le cours d’eau. En plus d’être obstruée par toutes les matières et particules drainées par l’écoulement généré (ex. érosion), notre gouttière de départ se trouvera plus vite remplie que si l’eau avait rejoint les eaux souterraines et suivi un écoulement ralenti. Elle déborde vite et fort."
Y a-t-il un lien entre les changements climatiques et les inondations?
J.R. : "Comme nous l’avons indiqué plus tôt, le principal paramètre d’entrée dans l’écoulement d’une rivière, ce sont les apports atmosphériques en eau, pluie et neige, qui se font dans le temps et dans l’espace.
Puisque les changements climatiques se caractérisent par une forte modification spatiale et temporelle des conditions atmosphériques (vent, températures, humidité et donc, précipitations), on s’imagine bien que les changements climatiques auront un impact sur la quantité d’eau que les cours d’eau auront à drainer. Selon les endroits, au Québec comme ailleurs, cela pourra se traduire par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements extrêmes, soit, trop d’eau (inondations), soit, pas assez d’eau (sécheresses).
Dans le détail, au Québec, cela sera très variable en fonction des régions (débâcle précoce, augmentation des volumes précipités, réduction du couvert neigeux…) et du contexte d’occupation des territoires des bassins versants. Nous vous invitons pour plus de précision à consulter les données et rapports produits par le gouvernement du Québec ou Ouranos."
Que pouvons-nous faire individuellement pour faire face aux risques d’inondation?
J.R. : "Il faut d’abord toujours garder en tête que le risque existe. C’est essentiel pour se préparer et faire face aux conséquences matérielles, sociales et psychologiques que peuvent générer les inondations. Il faut aussi se préparer dans le temps : avant, pendant et après. À chacune de ces étapes, différentes actions peuvent être entreprises. Nous vous invitons à prendre connaissance des informations fournies à ce sujet sur la page du projet Rés’alliance du ROBVQ.
Par exemple, il est donc important de connaitre votre exposition aux inondations. Cette information peut être obtenue auprès de vos municipalités ou sur les différentes plateformes produites par le gouvernement du Québec (Atlas de l’eau et Geo-Inondations – à titre indicatif dans ce dernier cas).
Dans le même ordre d’idée, avant une inondation, pensez à préparer une trousse d’urgence ou à envisager un plan familial d’urgence qui vous permettra d’avoir en permanence des informations sur les ressources disponibles pour chacun des membres de votre famille. On suggèrera aussi d’éviter l’entassement d’objets de valeurs dans vos sous-sols ou bien la surélévation de ceux-ci pour en éviter la submersion et la perte."
Vous avez dit que nous devons connaître les risques associés à notre région. Comment savoir si nous habitons dans une zone à risque d’être inondée?
J.R. : "À l’heure actuelle, et dans le cadre du Règlement transitoire, les zones inondables correspondent aux limites établies selon les plus récentes cartes ou cotes de crue en date du 25 mars 2021, incluant les territoires inondés par les crues printanières de 2017 ou de 2019. La meilleure façon de savoir si vous habitez en zone à risque et connaître la réglementation en vigueur sur votre territoire, c’est de consulter votre MRC ou votre municipalité qui saura vous renseigner.
À titre informatif, un nouveau règlement et de nouvelles cartes devraient voir le jour prochainement. Nous vous invitons à rester alertes aux annonces, surtout si vous devez acquérir une nouvelle propriété."
Que peuvent faire les municipalités pour augmenter la résilience de leurs citoyens face aux inondations?
J.R. : "Ici encore, il y a de nombreux leviers d’action : l’information, la planification et l’investissement.
Dans ce premier cas, il s’agit pour les municipalités de transférer l’information sur les zones à risque, le risque lui-même et, en période de crise, sur l’alerte elle-même et les bons comportements à avoir. À cet effet, une trousse d’information et de sensibilisation est disponible pour aider les municipalités à mieux se préparer.
Dans le second, les municipalités doivent se doter d’un plan de sécurité civile qui définit les outils et mesures préparatoires pour prévenir et agir en période de crise pour la sécurité de leur population et de leurs infrastructures et services essentiels.
Finalement, et comme nous l’indiquions tout à l’heure, les municipalités, au travers de leur plan d’urbanisme, peuvent envisager des actions et projets visant à œuvrer pour un meilleur écoulement de l’eau sur leur territoire. Cela passe par le déploiement de mesures de gestion durable des eaux pluviales, des infrastructures basées sur la nature et simplement, une bonne occupation de leur territoire.
De nombreux outils et documents existent pour aider les municipalités à se préparer aux inondations."
Quel rôle joue le ROBVQ et les OBV du Québec dans l’augmentation de la résilience des Québécois aux inondations?
J.R. : "Le ROBVQ et les OBV du Québec sont des acteurs impliqués depuis plus de 10 ans dans l’accompagnement des acteurs territoriaux et provinciaux à l’adaptation aux changements climatiques.
En ce qui concerne le ROBVQ, celui-ci travaille notamment en collaboration avec le gouvernement et les acteurs provinciaux responsables de la gestion des risques inondation comme Ouranos ou le ministère de la Sécurité publique pour développer des outils, guides et méthodes permettant une meilleure évaluation et atténuation du risque (ex: GDEP – Gestion durable des eaux pluviales, analyse coûts-avantages de l’adaptation aux inondations en contexte de changements climatiques, etc.).
À l’échelle des territoires, les OBV s’impliquent de différentes manières. Déjà, ils participent à l’amélioration de la connaissance des enjeux, des aléas hydroclimatiques et donc des risques liés aux inondations en identifiant leurs manifestations et en les analysant au sein de leurs plans directeurs de l’eau (PDE). De la même manière, les OBV collectent depuis plus de six ans maintenant des informations sur l’aléa et les niveaux d’eau atteints en période de crue. Ils œuvrent aussi avec leurs municipalités et MRC à identifier les meilleures interventions sur leurs territoires pour, par exemple, réduire les vitesses et l’intensité de l’écoulement sur les rives des cours d’eau ou dans les centres urbains. Certains OBV sont d’ailleurs impliqués dans les processus de concertation et de mobilisation de la société civile prévus dans le cadre du déploiement des Bureaux de projets inondations (ministère des Affaires municipales et de l’Habitation) et de la mise en œuvre de leur mandat (plans de gestion des inondations)."
Vous avez indiqué que le gouvernement du Québec s’apprête à dévoiler son nouveau règlement qui encadrera les usages sur les terrains situés en zone inondable. Quel impact aura ce règlement sur les citoyens? Celui-ci permettra-t-il d’augmenter la résilience des Québécois et des Québécoises face aux inondations?
J.R. : "Plusieurs travaux ont été produits en ce sens, notamment par le consortium Ouranos. Ces travaux portaient sur le référencement des connaissances en lien avec l’impact de la publication des cartes sur la perte de valeur foncière des propriétés en zones inondables, l’assurabilité des biens en zone inondable, ou les dommages psychosociaux à anticiper. Cette question est encore récente et mérite de plus amples recherches, car elle touche à de nombreux sujets, sociaux et économiques dont les liens et causalités ne sont pas toujours linéaires ou évidentes à établir.
Quoi qu’il en soit, la publication d’un nouveau cadre et de cartes précises faisant exhaustivement état de l’aléa et des risques d’inondation ainsi que des responsabilités sera une bonne chose pour la sécurité des Québécois et Québécoises."
Finalement, selon votre expérience, comment risque d’être la saison des inondations cette année?
J.R. : "C’est une question piège… Mais à première vue, nous avons toutes et tous constaté que la saison hivernale a été particulièrement douce et que le couvert neigeux est particulièrement faible. Ces deux éléments combinés suggèrent qu’une bonne partie de la neige tombée cette année a déjà fondu et a déjà rejoint le Saint-Laurent. Corolaire de cette hypothèse, il reste peu de neige à fondre sur les bassins versants.
Les sols sont néanmoins saturés en eau, ce qui limite leur capacité d’infiltration. Donc, des précipitations anormalement abondantes ce printemps, du fait d’une année El Niño particulièrement intense par exemple, pourraient tout de même générer des inondations, certainement très localisées et limitées aux abords du Saint-Laurent.
C’est difficile à prévoir, mais nous vous invitons à garder un œil sur le niveau des cours d’eau via l’outil Vigilance du ministère de la Sécurité publique qui fournira des informations en temps réel des niveaux d’eau ce printemps."